Sur le marché des produits « brun » la durée de vie des produits est fortement réduite par un consommateur à la recherche permanente de nouveauté. Quand les gammes se renouvèlent tous les ans, c’est chaque fois une surprise de découvrir que des appareils sont en production continue depuis des lustres. Par contre, conformément à la règle audiophile n°3bis, il n’est guère étonnant que ce soit dans le domaine le moins important pour le résultat auditif, c’est à-dire les transducteurs, que ces produits sont les plus nombreux. On pourra citer par exemple les cellules SPU ou DL103 ainsi que l’enceinte Klipschorn, produits dont la grande qualité originelle a permis de traverser les ans.

la 901® de 1968

Mais cette longévité résulte t’elle forcément d’une « qualité exceptionnelle » ? Pas toujours !!! Car quelquefois, c’est l’originalité du produit qui va le rendre insensible au passage du temps. C’est ce que nous allons voir avec l’enceinte Bose® 901® en production depuis 1968.

Comme souvent dans l’histoire de la hi-fi, c’est en étant insatisfait des produits du commerce que le Dr Amar Bose (diplômé du MIT quand même) crée son entreprise en 1964. Prudent, le Dr Bose conservera cependant jusqu’en 2001 sa chaire au MIT. L’entreprise vivote jusqu’en 1968 où sort le modèle 901®. Une revue dithyrambique de Stereo Review est c’est le succès. La marque deviendra une des plus importantes du secteur avec plus de 10000 employés en 2014 tout en continuant à produire le modèle 901®, aujourd’hui dans sa version 6.

La 901® très déshabillée

Qu’a donc de particulier la Bose® 901® pour avoir été produite si longtemps ? LE concept du « direct/reflecting® » où la majorité du son qui parvient à l’auditeur provient de la réflexion sur les murs de l’émission des haut-parleurs fait que cette enceinte ne ressemble à aucune autre. Pour ce faire la 901® utilise, sans filtrage, neuf (9!) haut-parleurs large bande identiques dont un seul dirigé vers l’auditeur, les huit autres rayonnant vers l’arrière suivant un angle étudié. Le tout est disposé dans une boite dont la structure en plastique n’est pas sans rappeler le système « matrix » de B&W.

Évidemment, il ne faut pas dans ces conditions s’attendre à une réponse linéaire aussi chaque paire d’enceintes est vendue avec un compensateur actif à placer entre le préampli et l’ampli. La courbe utilisée est assez drastique.

Bon la, elle est vraiement à poil

Le succès de la 901® s’appuie sur les trois points forts traditionnels de Bose :

• Une politique de brevet et de protection de la marque. Sans doute soutenue par l’expérience universitaire d’Amar Bose, l’entreprise est réputée pour déposer un nombre considérable de brevets.
• Une attitude extrêmement agressive en justice pour défendre ses brevet et ses marques. S’en suivront des procès contre Thiel, JBL, Apple… Encore plus fort cette politique s’étendra jusqu’aux magazines qui oseront publier des articles défavorables à la 901® (1).  Fort pratique pour éviter les critiques.
• Une omniprésence de la publicité.

Elle devait s’appeler 901® mais devant la peur d’un procès contre Bose, Porsche la renoma 911

De plus grâce à une conception industrielle et des matériaux dont la qualité est, disons le pudiquement, « optimisée », le prix reste raisonnable et la marge confortable. Le concept direct/reflecting® sera décliné sur les modèles 201®, 301®, 501®, 701® mais aucune de ces enceintes n’aura la longévité et la notoriété de la 901®.

Bon me direz vous, et le son dans tout ça ? Et bien, en dehors d’une faible directivité et de sa capacité à remplir la pièce, il faut bien avouer que le résultat est assez décevant. Les timbres, la spatialisation, la réponse impulsionnelle et la bande passante sont à des lieues de que procure une paire d’enceintes traditionnelles bien mise en œuvre. Sans parler d’une sensibilité à la configuration de la pièce et au placement dans celle-ci induite par la technologie direct/reflecting®.

Il faut dire que le principe même du direct/reflecting® est vicié à l’origine. Si comme le dit la publicité 90% du son live est issu de réflexion, l’enregistrement a lui même capté ces réflexions et il n’est sans doute pas utile d’en rajouter. À la limite il faudrait essayer d’écouter sur des 901® l’enregistrement d’un orchestre fait dans une chambre sourde mais il n’est pas sûr qu’on trouve beaucoup de tels enregistrements chez les disquaires.

Mais ce piètre résultat auditif mérite-il pour autant notre réprobation ? Que nenni, bien au contraire. La preuve, avec trois ans d’avance sur son cinquantième anniversaire, la 901® se voit décerner par cet article un prix prestigieux et envié : un TTAward ou mieux encore un TTAward®.

Pour aller plus loin : un essai de 1971 par Justin Gordon Holt dans Sterophile et la page 901® sur le site de Bose® qui explique le direct/reflecting® et le Performance Stereo Everywhere®.

(1) Consumer Reports, Hi-fi Choice… Le procès contre Consumer Reports durera 14 ans et ira jusqu’à la court suprême des États-Unis.