Le gaufrier à moustaches : Technics SL10

Où est Charlie – en l’occurrence la SL10 ?

À la fin des années 70 on assiste à un tournant dans le monde de la haute-fidélité. Le Japon semble avoir définitivement gagné la guerre commerciale et a fait de la hifi un produit de consommation de masse. Ce n’est plus seulement un marché de passionnés et pour être acceptés dans tous les foyers, les appareils doivent se faire plus petits et plus pratiques. On assiste à un déferlement de modèles mini chez tous les constructeurs, Technics, Toshiba et Uher en tête.
Le vinyle reste le principal media de diffusion de la musique mais il est sérieusement concurrencé par la cassette. Cette dernière offre une robustesse et une praticité qui séduit de plus en plus de consommateurs.
Sur le plan technologique, les microprocesseurs commencent à envahir les appareils et permettent d’étendre les fonctionnalités et les automatismes.

Pendant que les constructeurs britanniques et américains ont bien du mal à faire autre chose que que de mettre des moteurs synchrones standards pour faire tourner un plateau via une courroie, chez Matsushita, on a bien analysé les évolutions du marché et on travaille dur pour rester au sommet de la hiérarchie. Technics, la marque «hifi » du groupe est l’inventeur de l’entraînement direct (1) et spécialiste des tables de lecture. C’est bien naturellement dans ce domaine que Matsushita va s’illustrer.
Et l’analyse de Matsushita est la suivante : Comme elle est présente dans tous les foyers, la platine doit être compacte et élégante. Le format idéal pour un tourne disque semble être la taille d’un vinyle, ou de sa pochette (2).
Pour les mêmes raisons, la platine doit être pratique et fiable afin d’empêcher les utilisateurs peu avertis d’abîmer les disques et plus encore la précieuse tête de lecture. À propos de cellule, rien n’est plus délicat que de mettre en place et de régler une nouvelle cellule. Les réglages de dépassement, d’azimuth, zénith et autre hauteur de bras sont hors de portée de la plupart des utilisateurs même les plus avertis.
Avec toutes ces contraintes Technics va concevoir une platine qui va marquer l’apogée du tourne disque grand public, la SL10.

Dans la plupart des cas, seuls les deux gros boutons seront utilisés. L’un pour démarrer, l’autre pour éventuellement arrêter la lecture avant la fin de la face.

Avec son allure de jouet, voire de mange disque, la SL10 va provoquer une certaine incompréhension dans le milieu audiophile. Pourtant elle incorpore nombre d’innovations des plus intéressantes.
On commencera par le bras tangentiel ultra court. En 1979, la question de l’erreur de piste – l’écart entre la course du burin graveur et celle du bras de lecture – agite le milieu de la hifi depuis une décennie. Ce sont les européens (3) qui ont lancé les hostilités avec la Beogram 4000. Puis Revox a proposé la B790. Avec un bras tangentiel asservi comme sur ces platines, on réduit l’erreur de piste d’un maximum de 1,5° à environ 0,5° suivant les mécanismes. L’importance de ce facteur est probablement surévalué à l’époque et on en est bien revenu. Mais pour la SL10 le bras tangentiel s’impose car il s’affranchit ainsi du nécessaire déport du pivot de bras.
Mais en terme d’ergonomie, tous les possesseurs de platine Revox vous le dirons, le montage d’une cellule standard au format 1/2 pouce est une épreuve.
Deux ingénieurs Shuichi Obata et Masashi Ito de Matsushita vont résoudre le problème en inventant et brevetant un nouveau standard de montage de cellule, le format P-mount. Avec ce système, le montage est des plus simple, il suffit d’enficher la cellule dans la prise femelle du bras et de sécuriser le tout avec une vis. L’intelligence de ce standard est qu’il n’y a quasiment aucun réglage à faire. Tout est défini, la position du diamant par rapport à la face arrière de la cellule, le poids et le centre de gravité. Le seule réglage à faire sera celui de la force d’appui. La compliance de la cellule n’est pas standardisée mais en général, la cellule sera assez souple.
Pour simplifier encore, la SL10 est vendue avec sa cellule. Mais les ambitions haut de gamme de Technics pour la SL10 sont affichées par le choix de cette cellule. Il ne s’agit pas d’un produit d’appel que l’utilisateur devra changer mais d’une excellente cellule à bobines mobiles dotée d’un cantilever en bore. Et pour simplifier encore le pré-préampli est intégré à la SL10. A ce niveau d’intégration il paraît étrange de nos jours que Technics n’aie pas poussé jusqu’à avoir le préamplificateur et correcteur Riaa dans le socle de la SL10. Mais il est vrai qu’à cette époque, tous les amplificateurs disposaient d’une entrée phono.

Un éclairage et un index permettent de choisir les plages en déplaçant le bras avec deux petits boutons.

La construction de la SL10 est exemplaire avec son châssis et son couvercle en fonte d’aluminium. L’ensemble respire la qualité et le poids paraît d’autant plus important que l’engin est compact. Pour permettre un automatisme total, un système opto-électronique détecte le format du disque et adapte la vitesse de rotation et le déplacement du bras en conséquence. À ce propos, on veillera à garder précieusement le cache en plastique qui permet de duper le système pour jouer les 33t transparents – en pratique plus personne ne dispose de cet accessoire-.

La SL10 se vendra très bien malgré les avis de certains audiophiles. Il faut dire qu’avec sont apparence de gaufrier, cette platine fait perdre un peu d’une certaine magie du vinyle dans l’absence de manipulation du bras et en faisant disparaître le disque derrière le couvercle qui contient le bras de lecture.

Ouvert, on constate qu’il y a vraiment peu de place perdue. On distingue sur le couvre plateau les neuf orifices qui permettent la détection de la taille du disque. Des petits boutons permettent les fonctions annexes : rotation du disque pour nettoyage, forçage de la vitesse de rotation.

Grâce à elle, la supériorité du vinyle comme source ultime pour le grand public sera définitivement établie pour des décennies. Malgré les vaines tentatives de marques concurrentes on retrouvera la SL10, ses dérivés et ses clones d’autres marques dans tous foyers et même dans des applications mobiles, l’appareil pouvant être alimenté en 12V.

La face arrière, avec la double alimentation, 230V et 12V, l’interrupteur du pré-préampli et le cordon spécifique qui regroupe les deux voies et la masse.

Euh, en fait non…En 1979 la concurrence est déjà en développement sous la forme d’un petit disque argenté promu par Sony, un des principaux concurrents de Matsushita. Et de fait, la platine tourne-disque grand public commence au début des années 80 une lente descente aux enfers avec des modèles de plus en plus légers et fabriqués à l’économie. Les grandes marques japonaises de haute fidélité coupent sauvagement dans les budgets de R&D pour ce support. Le principal sous-traitant pour la conception et la fabrication de platine tourne disque, Micro Seiki ne survivra pas à cette débâcle. Seules perdurerons quelques marques à la limite de l’ésotérique vendues dans des auditoriums haut de gamme.

Comment se comporte la Technics SL10 à l’écoute ? Elle est vraiment très bonne. Évidement, comparé à notre platine de référence qui de manière assez amusante repose sur un concept similaire d’intégration totale de la platine, du bras et de la cellule, on est loin du compte. Les basses sont un peu envahissantes et paraissent plus monotones et les aigus sont moins naturels. Mais la comparaison avec une platine 10 fois plus lourde et encombrante et dont le prix actuel (d’occasion évidemment) est 30 fois plus élevé n’est probablement pas totalement pertinente…
Le principal problème d’utilisation de la SL10 ne se situe pas dans l’écoute. Ce n’est pas non plus la fiabilité. Bien qu’extrêmement complexe comparée à une platine à courroie ordinaire, la qualité de fabrication des appareils Technics de cette époque évite généralement les problèmes graves.

Non le problème, c’est qu’on ne trouve plus de cellule en monture P-mount du niveau de ce que mériterait une SL10. Il faut dire à la décharge des fabricants de cellules (Ortofon, Audio technica et Grado pour citer les plus importants) qu’il y eut peu de platines à monture P-mount de bonne qualité.

Avec sa qualité sonore (avec la cellule ESP-310MC), son ergonomie sans faille et sa qualité de construction que manque t’il à la Technics SL10 ? La même chose qu’à certains baisers, des moustaches ! Ce que nous nous empressons de corriger en décernant notre prestigieux prix : les moustaches de Pleksy-Gladz.
Certes, on pourra rétorquer que ce n’est pas l’appareil ultime en matière de reproduction sonore. Mais on notera qu’aucune platine actuelle à moins de 1000 euros ne fait mieux. Non la SL10 symbolise bien plus : ce que la technologie peut offrir de mieux pour une écoute sans souci des vinyles et la possibilité d’une histoire alternative du vinyle. Une histoire où le grand public aurait pu profiter d’une source vinyle de très haute qualité avec un niveau de praticité sans équivalent pour ce support.

1) En réalité, le véritable inventeur est sans doute Thorens avec un brevet déposé en 1927. Mais il s’agit d’une toute autre époque.

2) On peut faire, et on a fait, beaucoup plus petit, mais à l’usage, il n’y a pas vraiment de bénéfice.

(3) Si on oublie les tentatives un peu exotiques comme les bras Rabco.

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3 réflexions sur “Le gaufrier à moustaches : Technics SL10

  1. Bonjour. Très bon article bien Soutenu par diverses photos. Je connais très bien cette platine et j’ai décidé de les sauver de la déchèterie. Parfois je les rachète en piteux état , mais une SL 10 est toujours réparable ( environ 70 a ce jour ) . Cordialement

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  2. Pingback: Piste noire : La platine Garrard Zero 100 | Tryphonblog

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