On sait qu’en haute-fidélité la tâche la plus complexe consiste à faire passer une tension et un courant électriques entre un appareil A et un appareil B. Des milliers d’ingénieurs travaillent pour les fabricants de câbles afin de réaliser des produits qui font l’envie des industries de l’aérospatiale et des télécoms. Certes, cette ultra haute technologie a un coût non négligeable et il faut rendre hommage à une marque comme Tara Labs qui arrive à proposer ses câbles de liaison Grand Master Evolution à seulement 30000$ la paire de un mètre. Mais les tâches de l’ingénieur audio ne sont pas toutes aussi glorieuses et il doit quelquefois régler des problèmes beaucoup plus simples comme par exemple faire tourner un disque de vinyle pour en permettre la lecture.
Simple ne veut pas dire simpliste car le tourne-disque répond à certaines exigences. Il doit bien sûr assurer un respect absolu de la vitesse de consigne mais il doit aussi permettre de choisir cette dernière entre les différentes normes – 33tr/min, 45 tr/min et éventuellement 78 tr/min voire même 16tr/min. On pourra même vouloir un réglage fin autour de la vitesse théorique pour compenser des erreurs à l’enregistrement ou s’accorder avec un instrument.
À la fin de l’âge d’or de la hifi, au pic des ventes de vinyles avant l’invasion de la musique numérique, on a assigné ces fonctions à toute une armada électronique. Cette technique de la fin des années 1970 est mise en œuvre sur nombre de platines japonaises (1) à entraînement direct. On est même allé plus loin en demandant à l’électronique de reformer la tension d’alimentation ou de contrôler les déplacements du bras de lecture. Un audiophile ne peut évidemment pas se satisfaire de ce recours à des moyens honnis tel que IC, AOP et autres barbarismes qui abreuvent, par leur présence même, d’un son impur le sillon des vinyles. En application de la règle audiophile n°2, c’est encore plus loin vers le passé qu’on trouvera le véritable tourne-disque audiophile.
On passera rapidement sur les errements de la platine à courroie. En effet ce mode d’entraînement rend difficile le changement de vitesse (jusqu’à ne pas en avoir comme les premières Linn LP12) et le réglage fin de la vitesse.
Mais c’est évidemment l’entraînement par galet qui constitue l’idéal audiophile. Un simple disque caoutchouté permet en effet à la fois une plage de vitesse étendue (de 16 à 78 tr/min dans le meilleur des cas) et un réglage fin de chaque vitesse et cela en absence totale d’électronique. On comprend tout l’émoi que provoque chez l’audiophile la vision d’une Lenco ou d’une EMT.
C’est cependant loin de ces références européennes que l’on doit le plus bel entraînement de platine jamais conçu. C’est en effet la firme américaine H.H. Scott qui a imaginé un entraînement disposant de pas moins de trois galets. La base de l’entraînement de la 710 ne désorientera pas trop l’audiophile bercé avec les platines Lenco L75. On dispose d’un gros moteur dont le rotor horizontal est serti sur une longue poulie conique. Entre cette poulie et un gros tambour sont disposés trois galets. Chaque galet correspond à une des vitesses de disque. Trois boutons sur le dessus de la platine permettent de sélectionner la vitesse demandée, les deux autres galets étant rappelés dans une position de repos par un ressort. Chaque galet dispose aussi d’une plage de réglage le mettant en contact avec une portion de plus ou moins grand diamètre de la poulie, assurant le réglage fin de la vitesse de manière totalement indépendante pour chacune des trois vitesses. Petit raffinement, chacun de ces boutons met le moteur en rotation. Pour arrêter la platine il faut donc appuyer sur le bouton stop, qui coupe le moteur et débraye les trois galets, ce qui évite un arrêt du tourne-disque galet en prise, créateur du méplat honni par l’amateur de platines à galet.
Une autre originalité de la Scott, est la manière dont l’axe de rotation horizontal du tambour entraîne le plateau dont l’axe est évidemment vertical. On trouve au bout d’un arbre de transmission lié au tambour, un entraînement par vis sans fin. Pour faire bonne mesure et pour protéger cette vis sans fin, un embrayage est disposé entre celle-ci et le plateau, ce qui devait permettre au DJ de l’époque de scratcher sans arrière-pensée.
Pour le reste, la Scott 710 est une platine à la finition toute de bois et d’inox de haut niveau. De même, le socle plus étroit à la base qu’au sommet est tout à fait dans la tendance des années 50. Il s’agit d’une vraie platine livrée nue qui demande à l’audiophile de lui adapter un bras et une cellule de son choix. Elle dispose même d’une suspension qui isole les différents éléments, luxe sans doute inutile pour éviter le rumble que doit provoquer la transmission par engrenage et vis sans fin…
Un tel tour de force ne devait pas passer inaperçu. En effets, trois vitesses, embrayage, cardan, tambour, tout cela fleure bon l’industrie automobile. À l’époque où les transmissions des automobiles américaines, Powerglide chez GM et Powerflite chez Chrysler ne disposent que de deux vitesses, les ingénieurs de Scott furent sollicités par leurs collègues de l’industrie automobile pour les aider à concevoir les boîtes automatiques de nouvelle génération telle que la Torqueflite de Chrysler sortie en 1956. On trouve nettement l’inspiration de Scott dans le fonctionnement de cette dernière commandée non pas par un levier mais par des boutons poussoirs au tableau de bord.
Une telle débauche de moyens mérite évidemment toute notre sidération, notre considération, notre admiration et bien sûr, un TTaward
Pour aller plus loin : On jettera un œil sur ce blog.
(1) Mais pas que japonaise. Les fabricants européens les plus prestigieux EMT et Goldmund utiliseront aussi ces techniques.