Deutsche Qualität : Deutsche Grammophon « The Original Source »

On se souvient qu’Opel, la pire marque allemande, ventait la « Deutsch Qualittät »

On a déjà eu l’occasion de s’attarder quelque peu sur la notion de « Deutsche Qualität ». Sans que cette expression en elle-même ne soit positive ou péjorative, la qualité allemande dans la langue d’Emil Berliner, est assez réputée dans le domaine de l’automobile, du matériel audio et de la saucisse. Mais qu’en est-il de la musique ? L’ Allemagne ayant le privilège d’avoir vu naître à la fois Bach et Ramstein, Beethoven et Hans Zimmer, Brahms et Tokio Hotel, nous ne nous risquerons pas à parler des œuvres en elle-même au risque de froisser une partie de notre lectorat. Parlons donc plutôt d’édition musicale.

À l’âge d’or du microsillon, Deutsche Grammophon Gesellschaft (DGG) est la force dominante du marché du disque classique. Forte de ses signatures prestigieuses, Kleiber, Argerich, Furtwängler, Abado et surtout bien sûr Herr WeltMusikDirektor Herbet von Karajan, DGG est devenue un label de référence, en particulier dans les domaines de la période classique et romantique. Pour choisir un disque, les amateurs de musique, surtout les moins avertis, font une confiance aveugle au label jaune. Filiale du groupe Polygram, donc de Philips, elle est un des leviers sur lesquel s’appuie cette dernière pour promouvoir le lancement du disque compact.

Après les années 80, la situation se complique pour Deutsche Grammophon. D’abord en raison de l’évolution des goûts musicaux. Sous l’influence des « baroqueux » un répertoire plus ancien prend de l’importance et même pour les musiques plus récentes les modes d’interprétation (instrument d’époque, tempi…) recherchés des auditeurs évoluent. Le catalogue de DGG plutôt axée sur la musique du XIXe ne couvre plus toutes les attentes des amateurs de musique. Et les interprétations qui poussent à fond les potentiomètres « rubato » et « legato » sont moins en phase avec le goût du jour. Les grandes vedettes de la firme par ailleurs vont plutôt vers la fin de leur carrière. Quand s’ajoute la dématérialisation et la crise du disque ainsi que la dilution dans le tentaculaire Universal Music Group, DGG n’est plus tout à fait la statue du commandeur qui toisait ses concurrents du haut de son socle.

Nul besoin d’être McKinsey pour penser qu’un repositionnement stratégique s’imposait.

On a déjà pu lire ici que DGG avait adopté au début des années 2010 une approche moins rigide de son répertoire. Plus récemment, le catalogue s’étend à des artistes qui s’écartent franchement de la culture historique. Hania Rani, Agnes Obel, Moby – artistes fort estimables (et estimés) mais qu’on aura du mal à appeler classiques – maquillent de jaune la face noire de leur vinyle pour rejoindre Caruso et Chaliapine sur la photo de famille de DGG (1).

Il y a quand même des codes à respecter : ici Moby, avant et après son passage chez Deutsche Grammophon.

C’est maintenant le marché du disque audiophile auquel s’attaque Deutsche Grammophon. L’offre des éditeurs spécialisés comme Mobile Fidelity ou Reference Recordings est en partie représentée par des enregistrements techniquement remarquables d’interprètes de troisième plan. Une solution que ne pouvait évidemment pas adopter par DGG au risque de retrouver Garrick Ohlsson et le Grand Teton Music Festival Orchestra sur la même affiche que le Wilhem Kempf et le Philharmonique de Berlin.

L’autre partie de l’offre est celle de la réédition. Il s’agit de rééditer des disques populaires sur la base supposée de bandes magnétiques miraculeusement retrouvées ou prêtées, masterisées dans un magnifique studio dont le magnétophone Studer (ou ATR suivant les goûts) a été recâblé avec du Nordost et l’électronique refaite avec des tubes. C’est cette voie qu’a choisie DGG en s’épargnant le recâblage et en bénéficiant d’une organisation toute germanique de la gestion des archives.

On a donc découvert il y a quelques mois la nouvelle collection « The Original Source ». La démarche est intéressante. L’idée de DGG est de reprendre des enregistrements prestigieux des années 1970 et d’en faire une gravure quasi-directe depuis la bande multipiste originale (d’où le nom). Ce faisant on gagne deux générations de copie : le master stéréo ¼ pouce et potentiellement la copie supplémentaire destinée aux filiales internationales de Polygram qui avaient leur propre usine de pressage. Cette démarche est fort bien expliquée dans un petit documentaire promotionnel sur You Tube.

Une quinzaine d’enregistrements sont déjà parus qui privilégient le catalogue d’enregistrements quadriphoniques des années 1970 (2). On a tous les ingrédients de la démarche audiophile, dont évidemment un workflow totalement analogique. On peut certes douter que le vinyle soit le meilleur média du monde, en particulier dans le domaine de la musique classique, mais cette démarche a le mérite d’être sensiblement plus transparente (3) que celles de nombre d’autres labels purement audiophiles. On appréciera en outre qu’on nous épargne tout le folklore habituel concernant les électroniques customisées et autres grigris audiophiles (4).

Puisqu’on parle de grigris, parlons aussi de table tournante et posons y nos vinyles fraîchement arrivés. Ces disques sont très bien réalisés. La pochette est une copie fidèle de la pochette originale dans un carton plus épais que dans les années 70. L’aspect satiné correspond mieux au goût actuel que l’aspect brillant des originaux. Attention plaisante, un flyer décrivant la démarche de la collection The Original Source est imprimé au verso d’une feuille figurant la boîte de la bande master. Le disque en lui-même est bien évidemment en 180 g. Une seule matrice est réalisée et donc la quantité de vinyle pressée est limitée. Chaque exemplaire est numéroté comme une lithographie d’art sur un total qui semble être de l’ordre de 3000 à 3500 (sur nos exemplaires).

La première impression d’écoute est excellente. Le bruit de surface du vinyle (et pour le coup de la bande magnétique) est le plus bas que nous n’ayons jamais entendu. Les basses sont également profondes et bien tenues et de manière générale la texture sonore est de grande qualité. On sera par contre selon les cas plus circonspect sur la qualité de la prise de son. Rien à voir avec cette réédition, c’est plutôt la production originale qui est en cause, mais la mise en place de l’orchestre est quelquefois assez étrange et on peut avoir l’impression de coups de zoom sur certains pupitres. On est sans doute plus loin de l’expérience du concert que d’autres productions, mais l’expérience est quand même captivante, tant on semble être le Tonmeister au plus près de la bande magnétique master. C’est dernières appréciations sont évidemment à nuancer en fonction des différentes œuvres.

La boite du master indique tout ce qu’il faut savoir : œuvre, vitesse de la bande, nombre de piste (4 mais quand même noté comme stéréo), Dolby, égalisation…

On s’interrogera aussi sur le bien-fondé d’une telle réédition. S’il est un répertoire qui est mal adapté au vinyle, c’est bien celui de la musique dite classique. Entre la longueur limitée des faces (en particulier sur les gravures soignées) qui entre en conflit avec les œuvres et la dynamique élevée qui rend les pianissimi proches du seuil de bruit, l’auditeur de ce style de musique traîne des pieds à suivre le mouvement général de renouveau du vinyle.
Tant qu’à sortir les archives des placards, on aurait aussi aimé se voir proposer la version quadriphonique – par exemple sur SACD – un peu à la manière des rééditions Mercury qui comprennent la version stéréo et la version trois canaux. Des enregistrements ont été édités en multicanaux, malheureusement remixés en 5.0, mais sans véritable politique éditoriale suivie ni la même transparence sur le workflow.

Pour ceux qui trouvent encore la collection The Original Source trop bas de gamme, DGG propose également la collection Mastercut records. Il ne s’agit pas de disques pressés mais de laques directement issues de la gravure. S’agissant d’objets réalisés à l’unité, en quantité extrêmement limitée, car il ne faudrait pas non plus trop user la bande master, le prix commence à être sérieusement élevé – de l’ordre de 450 €… Tant qu’à faire, pour ce prix-là, une copie sur bande ¼ pouce demi-piste à 38 cm/s aurait sans doute été plus fidèle.

Conseil de dégustation :

Pour mettre en avant ces disques véritablement dignes de la réputée Deutsche Qualität, il nous fallait une platine – forcément allemande elle aussi – du même acabit. Le choix n’est pas facile si on exclut les Thorens (trop suisses même si à l’époque fabriqués à Lahr en Allemagne comme on l’a déjà vu), les Dual, Perpetuum Ebner (5) et Elac Miracord trop bas de gamme, les EMT trop occupées dans les radios et Clearaudio trop moderne. C’est une fois de plus dans notre cave que nous avons trouvé l’objet parfait. Le haut de gamme allemand des années 1970 en la personne (si je puis dire) de la Braun PS1000. Joliment dessinée par le réputé Dieter Rams dans le style industriel cher à la marque, formidablement lourde (17 kg) , abominablement chère (deux fois plus qu’une Thorens TD125 en 1970) et originale par son entraînement (6) c’est l’engin idéal.

Pour la cellule, on pourra déroger à la germanité en choisissant une cellule Ortofon MC20 puisque Sidney Meyer, chargée du mastering de la collection The Original Source, a elle aussi choisi une tête Ortofon pour équiper sa Neumann VMS80 de gravure.

(1) Note de la rédaction : nous nous excusons auprès de nos lecteurs, mais il semblerait que notre ami Tryphon ait un peu abusé de certaines substances au moment d’écrire ces lignes.

(2) La quadriphonie fut la grande affaire de la première partie des années 70, sans que celle-ci ne s’impose. DGG prévoyant, réalisa alors ses enregistrements en quadriphonie. Philips – pourtant grand inventeur de formats (cassette, CD, DCC , V2000) n’y a jamais cru et ces enregistrements à notre connaissance n’ont jamais été publiés que remixés en stéréo.

(3) Qui a dit Mofigate ? Cette dernière histoire aura quand même eu le mérite de mettre en lumière le maquis qu’est le marché de la réédition audiophile et de ridiculiser (s’il en est besoin) cette vieille buse de Michael Fremer.

(4) Le « purisme » de la démarche se limite à l’utilisation de modules Dolby spécifiques. Philips, perfectionniste avant l’heure, avait fait réaliser par Dolby Labs des modules Dolby A avec ses propres spécifications pour ses filiales phonographiques, dont bien sûr Deutsche Grammophon.

(3) La quadriphonie fut la grande affaire de la première partie des années 70, sans que celle-ci ne s’impose. DGG prévoyant, réalisa alors ses enregistrements en quadriphonie. Philips – pourtant grand inventeur de formats (cassette, CD, DCC , V2000) n’y a jamais cru et ces enregistrements à notre connaissance n’ont jamais été publiés en vinyle quadriphonique.

(5) Il est amusant de constater que le nom de Pertuum Ebner soit réapparu il y a une dizaine d’années, alors même que Dual qui avait racheté PE dans les années 70 et qui avait quelques beaux produits aujourd’hui encore appréciés comme les 1019 ( ?) est toujours mort.

(6) Nous espérons revenir plus en détail sur le sujet dans un article de sortie de cave, mais si la PS1000 a un entraînement mixte galet et courroie qui offre à la fois le découplage plateau/moteur de la courroie et le réglage fin que permet le galet, il est utilisé à l’opposé des Thorens 124/135, c’est-à-dire galet puis courroie. L’engin est cependant un tantinet complexe et la remise en état se prolonge.

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