Il n’aura pas échappé à l’audiophile lecteur de Tryphonblog, avide d’actualités internationales comme chacun le sait, que l’Amérique connait depuis quelques années une crise politique profonde liée à clivage croissant dans sa population.
Un fossé croissant s’est en effet creusé entre une population urbaine, multi-ethnique, ouverte aux minorités et en général plutôt libérale sur les mœurs et démocrate. Ces américains, habitants plutôt la côte ouest et le nord-est des États-Unis, sont assez viscéralement opposés à leur président actuel.
D’un autre côté, la population du sud et du centre des États-Unis, blanche, chrétienne fondamentaliste, républicaine et pro Trump.
Sur le plan musical, tout oppose donc ces deux groupes qui s’intéressent à des thématiques bien différentes. Les premiers seront plutôt des amateurs d’une musique comme le hip-hop qui exalte des thèmes très spécifique comme la violence et les armes, l’alcool, les filles et les mères, l’attachement à son quartier, la difficulté de grandir dans des banlieues déshéritées, la mort ou les gros SUV pleins de chromes.
Les seconds écoutent de la country, musique qui aborde des thèmes fondamentalement opposé à ceux décrits plus haut, comme par exemple, le droit de porter un arme, l’alcool, la mort, l’amour et la famille, l’amour de sa terre, la difficulté de grandir loin de tout, et les gros pick-up pleins de chromes.
Avec des thèmes si différents, on imagine qu’il y a peu de chance pour que ces deux Amériques se croisent à un concert. Et comme c’est fortement improbable, cela devait forcément arriver. Et cela grâce à un producteur et guitariste du nom de Rench (de son vrai nom Oscar Owens) créateur d’un nouveau genre musical et du groupe éponyme Gangstagrass. Du rap, on retrouve le flow des chanteurs. De la country, et plus spécifiquement du bluegrass, Ganstagrass reprend l’instrumentation à base de banjo (à cinq cordes bien sûr), de dobro et de mandoline, et la technique du picking.
Que penser du résultat de ce mélange de genre ? Que du bien, évidemment.
Comme tout genre un tant soit peu parodique, il demande une excellence technique et mélodique et c’est ce que produit la bande – à effectif et géométrie très variable – réunie autour de Rench. Le titre de l’album qui nous intéresse résume assez bien le programme musical : des éclairs sur les cordes et la foudre sur les micros.
L’esprit d’amour et de concorde, un des rares points communs au rap et à la country, se retrouve totalement dans les titres de l’album comme « je vais t’abattre (I’m gonna put you down) », « Mes ennemis sont enterrés dans les champs (My ennemies lay beneath the prairie) », « Mains en l’air (Put your hands up high) »…
Trois petites déceptions cependant. La première c’est que Gangstagrass ne tourne pas en Europe continentale. La seconde plus grave c’est que les qualités de producteur de Rench ne sont pas à la hauteur de ses talents de musicien. L’enregistrement dans le « Rench Studio » (son salon ?) est un des pires que nous ayons écouté dans une production récente. Mais le véritable problème c’est que Gangstagrass n’a, à notre connaissance, pas publié ses albums en vinyle ce qui va nous contraindre à les écouter en CD.
Conseil de dégustation :
Nous affrontons un nouveau challenge pour trouver le lecteur idéal pour reproduire ce style de musique. Le premier est de regarder du côté des lecteurs de CD ce qui n’est guère notre habitude. Mais encore plus, il ne s’agit pas à proprement parlé d’un style de musique mais de deux styles, de la country et du rap, dont nous avons vu plus haut qu’il ne sont guère proches.
L’un est une musique traditionnelle ancrée dans les origines des États-Unis, un peu en même temps que les débuts de la musique enregistrée et des électroniques à tubes. L’autre est apparu dans les années 1980, en même temps que la musique numérique.
Cette analyse sur l’histoire nous fait apparaître finalement le choix comme évident. C’est avec un lecteur Luxman D-105u qu’il faudra écoute Gangstagrass.
Apparu à la fin des années 80, la Luxman D-105u est lui aussi un mélange de genre improbable, un lecteur de CD assorti d’un étage de sortie à tubes.
Malgré sa qualité de fabrication assez ordinaire, le D-105u eu son petit succès à cause d’un argument marketing très subtil : une petite fenêtre dans la façade anodisée noire qui permet d’apercevoir le rougeoiement des deux tubes 6CG7.
Il faut dire qu’à cette époque des débuts du numérique, la sonorité de certains lecteurs CD a pu apparaître trop agressive. La promesse d’une certaine « rondeur » qui serait apportée par les tubes avait tout pour appâter l’audiophile. Ce lecteur fut rapidement adjoint de deux variantes, le D-103u plus bas de gamme et le D-107u plus haut de gamme.
Nous pourrions écrire à l’écoute de ce lecteur que les tubes mettent particulièrement en valeurs la richesse harmonique des cordes pincées du banjo et de la guitare à résonateur et que les convertisseurs Burr-brown mettent en valeur la dextérité de Prepmode au platines ou la scansion de T.O.N.E-z, le chanteur. Mais nous laisserons ce type de commentaire qui fleurent bon la merde de taureau comme on dit dans la langue de Bill Monroe et de Dr. Dre aux revues audiophiles plus averties. Au vu du schéma électronique du lecteur, l’efficacité des tubes peut paraître discutable. On notera cependant que le D-107u semble en faire un meilleur usage. Ce dernier utilise même des transformateurs en sortie pour réaliser le filtrage.
On reconnaîtra cependant à Luxman une grande persévérance puisque le dernier lecteur de CD de la marque, le D-380, continue d’utiliser un tube en sortie. Et bien entendu, ce dernier est toujours bien visible derrière sa petite fenêtre.
Nous nous contenterons se dire que le plaisir de cultiver les paradoxes musicaux peut se conjuguer aussi bien sur le programme que sur le matériel pour le lire. En attendant, on de trouver un D-105u sur Le Bon Coin, on pourra toujours regarder « Barnburning » sur you tube :
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