Sir Kenneth Grange devant une de ses œuvres.

On a vu qu’en matière de hifi, l’esthétique pouvait être révélatrice de l’orientation donnée au produit, de manière délibérée ou qu’il s’agisse simplement de l’inclination naturelle des concepteurs. Cette recherche de l’apparence peut paraître anecdotique pour la plupart des électroniques, où « la boîte » n’a qu’une fonction relativement accessoire. En dehors de quelques aspects mineurs sur la gestion des vibrations et la commodité de transport, le contenant a alors principalement pour rôle de délivrer un message tel que «je suis audiophile et je ne m’embarrasse pas de fioriture, je suis un Naim», «Je suis un pro et j’ai des gros vu-mêtres». Évidemment pour les amplificateurs de puissance, cette boîte a aussi un rôle de dissipation thermique mais là aussi l’esthétique du radiateur peut être un message qui annoncera aussi bien «regardez comme je suis sérieux et je ne fais pas de fantaisie » pour un quad 405 que « regardez mes muscles, que de la classe A » comme ont si bien su le faire Krell et Mark Levinson (Sans parler du chef d’œuvre absolu de cet esprit qu’est l’Audioanalyse A9 ).

Tout cela se complique pour les enceintes acoustiques où on ne pourra nier que  l’emballage» a un rôle un peu plus important que de tenir les haut-parleurs ensemble. Le volume, la forme du baffle, et nombre d’autres facteurs ont un effet direct sur les performances. Avoir un designer qui arrive à la fois à prendre en compte l’esthétique et les contraintes techniques tout en donnant un sens à l’objet n’est donc pas si commun. Que cette démarche s’étende sur plusieurs décennies depuis l’âge d’or de la hifi dans les années 70 jusqu’aux années 2000 est exceptionnel. C’est cette relation qu’entretiennent Bowers & Wilkins et Kenneth Grange.

La plupart des manchots (penguin en anglais) ont un ventre blanc et un dos noir. Pas la DM6.

Kenneth Grange est un des très grands designers britanniques. Il a travaillé dans les domaines aussi différents que les trains, l’électroménager (Kenwood — rien à voir avec Trio) ou les lampes Anglepoise.
Kenneth Grange commence à travailler pour B&W au milieu des années 1970 avec deux produits emblématiques :

La DM6 « pregnant penguin » qui sort enfin l’enceinte électrodynamique de la forme « boîte à chaussures », et sur laquelle on retrouve un des gimmicks de Grange à cette époque, le pan coupé. Et comme souvent par la suite, cette innovation esthétique est le pendant de nouveautés technologiques. Sur la DM6, on a la mise en phase des haut-parleurs (la mesure de la réponse impulsionnelle est une des nouveautés de cette époque) et le début des membranes en polyamide.

Outre la caractéristique toute britannique de porter un chapeau melon à son chef, la DM7 qui suit annonce la tendance future de débafflage du tweeter. C’est aussi une des rares B&W à utiliser un haut-parleur passif.

DM7

Les années 70 s’achèvent en beauté avec la mère de toutes les enceintes haut de gamme, la 801, qui étend le débafflage au haut parleur medium (en polyamide bien sur) et reprend le motif du pan coupé sur toutes ses faces.

Si R2D2 avait été une enceinte, il se serait appelé 801.

Les années 1980 verront l’apparition de la structure « Matrix » qui se retranscrira à l’extérieur par des formes à angle vif.  De la plus grosse, la matrix 800 à la plus petite, la CM1, on retrouve toujours la patte de Kenneth Grange.

La CM1 posée sur le subwoofer CM2.

A la fin des années 80, sous l’impulsion de Robert Truntz qui succède à John Bowers à la tête de l’entreprise, B&W commence à travailler avec un tout jeune designer Morten Warren futur grand nom lui aussi du design britanique avec l’agence Native. De cette collaboration naîtront d’autres produits d’exception dont l’Emphasis, la série 800, le Zeppelin. C’est une autre histoire et nous y reviendrons.

Mais Sir Kenneth continue sa collaboration avec B&W et va signer la série des produits « anniversaire ». Chacune de ces enceintes est à la fois un objet précieux, une avancée esthétique et industrielle et le porte drapeau d’une technologie de la marque.

On aura successivement  en 1993 pour les 25 ans de Bowers & Wilkins la Silver Signature au câblage en argent, la Signature 30 (30 ans)et enfin la Signature Diamond (40 ans) qui enchâsse  le nouveau tweeter en diamant dans une coque en marbre.

Noces d’argent.

Pour l’anecdote, bien qu’ayant employé deux des plus grands designers industriels britanniques contemporains, Bowers & Wilkins  laissera des ingénieurs seuls décider du design de l’enceinte emblématique du haut de gamme B&W depuis plus de 20 ans, la Nautilus.

Tweeter débafflé en diamant, woofer kevlar, alignement de phase : 30 ans d’histoire de B&W avec Kenneth Grange.

Pour l’ensemble de sa collaboration avec B&W Kenneth Grange aura droit à deux récompenses. D’abord une exposition au Design Museum de Londres avec un stand B&W et surtout… une superbe paire de moustaches (de Pleksy-Gladz bien sur).

Stand B&W à la rétrospective Grange du Design Museum.

Pour aller plus loin; la page consacrée à Sir Kenneth Grange sur le site B&W et une interview de l’homme lui-même.