C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes, dit-on. Aussi, lors d’un article précédent, nous avions déjà débattu de l’exceptionnelle longévité de certains produits audio. Pour réparer un oubli, nous allons poursuivre dans cette voie dans l’étude de ce jour. Et il s’agit d’une sacrée gamelle : 38 cm, 14 kg. La soupe du jour sera servie dans des Altec Lansing 604.
Si les bases de l’industrie de l’électronique et de l’électroacoustique sont à chercher dans les télécommunications, c’est avec le développement de la radio et du cinéma parlant que l’histoire de la haute-fidélité démarre vraiment. Aussi n’est-il pas étonnant que ce soit en Californie, près d’Hollywood, que des marques comme Altec ou JBL se soient développées.
En 1927 sort le premier film « parlant », Le Chanteur de Jazz. Toute l’industrie cinématographique comprend tout de suite l’impact qu’aura cette nouveauté. La société All Technical Services est donc créée pour mettre en place et maintenir les installations audio de des salles de cinéma. Le nom est rapidement simplifié en Altec mais c’est après le rachat en 1941 de l’usine Lansing d’Anaheim (à côté du futur Disneyland) que l’entreprise se développe et prend le nom d’Altec Lansing (1).
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Altec va introduire un des haut-parleurs les plus célèbres de l’histoire, le 604. Ce haut-parleur deux voies adopte deux innovations majeures : le pavillon coaxial (2) et les aimants Alnico, issus des programmes de recherche liés à l’effort de guerre, pour remplacer les aimants à excitation. Sous le nom de Duplex ce haut-parleur à pavillon coaxial va connaitre une formidable carrière avec des usages aussi divers que le monitoring, les salles de cinéma, la sonorisation et bien sûr la haute-fidélité domestique.
La première version du 604 est introduite en 1944. C’est un haut-parleur de 15 pouces (38 cm) qui comporte en son centre un pavillon multicellulaire pour les médiums et les aigus. Le 604 va connaitre de notables évolutions au cours de sa longue carrière. A partir de la version 604C en 1953 le pavillon devient multisectoriel. Vers 1957, l’éphémère 604D est remplacé par le 605A. Mais comme Porsche pour les 911, on se rend vite compte que quand on a un nom célèbre, on le garde et le 605 redevient bien vite 604, dans sa version 604E.

En novembre 1964 Altec annonce fièrement dans sa publicité le retour du 604 après la parenthèse du 605 .
En 1974, l’impédance de la version 604-8G descend de 16 à 8 ohms, comme le nom l’indique. À partir de la version 604-8H introduite en 1978, la pavillon adopte le profil Mantaray récemment mis au point par Altec.

Quand on les compare directement, on voit que le 605A fait des économies sur la taille du circuit magnétique. Illusion d’optique, la membrane semble plus grande. Par contre, on gagne un réglage des aigus direct par potentiomètre.
Jusqu’au début des années 70 le 604 sera à la base de nombreux monitoring de studio, souvent associé au HP de basse 515. Le principal concurrent dans ce domaine est Tannoy qui utilise une technique proche de tweeter à pavillon coaxial à un haut-parleur de basse. On observe une répartition géographique : dans les studios américains, le monitoring est Altec alors que les Britanniques préfèrent les Tannoy. Sauf EMI qui installe des Altec Duplex à Abbey Road, ce qui n’est pas rien.

L’Altec 612 est un « utility cabinet » qui accueille un 605A Duplex. Il est utilisé comme monitoring dans les studios d’Abbey Road où enregistrent des petits groupes locaux.
Dans les années 70, JBL devient temporairement leader du monitoring avec les séries 43nn. Mais ce succès est éphémère. Suite aux travaux d’ Edward Long sur la cohérence de phase des filtres (3), les coaxiaux Altec redeviennent leaders sur le monitoring dans les enceintes UREI (4). très reconnaissables avec leur pavillon bleu. Harman fort vexé de cette situation, utilisa une bonne veille technique capitaliste pour mettre à mal cette concurrence à défaut de pouvoir mieux faire techniquement : le rachat d’UREI. Mal géré et sans trésorerie, Altec n’aura pas la puissance financière de l’actionnaire de JBL pour contrer cette manœuvre. Inutile de préciser qu’UREI disparut rapidement après ce rachat.
La suite de l’histoire ne fut qu’un long et pénible chemin de croix pour Altec. Mais la fabrication des haut-parleurs 604 (et d’autres références Altec) se poursuit de nos jours sous l’égide de Great Plains Audio. GPA a repris en 1998 les actifs de l’usine Altec qui produisait et maintenait les HP et perpétue ainsi la lignée des produits Western Electric / Altec Lansing.
Pour les audiophiles qui ne connaissent que les haut-parleurs modernes, le 604 peut être surprenant. Alors que les enceintes actuelles privilégient des HP relativement petits mais à grande excursion, on a affaire ici à un OVNI. L’impressionnante partie grave du HP dispose d’une large – et fragile – membrane en papier avec une suspension petit pli à faible excursion. En son centre, on trouve un medium tweeter à pavillon doté d’une membrane de 1,75 pouce. Comme on dispose de deux (gros) circuits magnétiques , la masse de l’ensemble atteint les 14 kg.

Le filtre N1600A. Il dispose d’un réglage du niveau d’aigu par déplacement d’un branchement. Modérément ergonomique quand le filtre est dans l’enceinte…
Évidemment, le haut-parleur en lui-même est accompagné de son filtre dédié. Ce filtre évoluera avec les versions du 604. La fréquence de coupure passera de 2000 Hz à 1600 Hz, puis finalement 1500 Hz à partir du 604E. Simultanément, les réglages deviendront plus aisés depuis une simple atténuation des aigus, puis un véritable potentiomètre et finalement des réglages séparés grave et aigu.
L’objet dégage une présence certaine en raison de sa taille, de sa belle finition, relevée dans les versions vintage par l’emblématique peinture verte Altec. Couleur tout à fait adaptée pour notre époque écologique, puisque le haut rendement permet de travailler à des puissances électriques raisonnables.
À ce stade de l’étude, l’impatient lecteur se demande si le son produit par ce prestigieux haut-parleur justifie sa réputation et sa longévité.
C’est aller un peu vite en besogne car il convient d’abord de lui trouver une enceinte.
De ce point de vue, Altec est principalement un fabricant de haut-parleurs (5) . On trouvera aux différents catalogues de la marque, vendus séparément, des enceintes. On trouve aussi bien des modèles domestiques au joli placage que des modèles utilitaires pour les cinémas et les studios. Altec publie aussi des plans d’enceinte. A une époque où les transports de bien ne sont pas aussi développé que de nos jours, il était de toute façon bien plus pratique de ne pas faire traverser les Etats-Unis ou les océans a des grosses boites pleines d’air.
Il faudra attendre 1974 pour voir apparaitre des modèles intégrés utilisant le haut-parleur 604 avec les modèles Stonehenge et Seventeen.
Mais pour répondre à la question de l’écoute, il nous faudra attendre un prochain article.
Pour aller plus loin, il y a bien sûr Wikipedia. Le site Lansing heritage est une source inépuisable pour la documentation historique. Enfin Great Plain Acoustics, nouveau nom de Great Plain Audio poursuit la production des composants Altec Lansing. On pourra aussi lire un article dans Vaccum Tube Valley #3.
(1) Entre externalisation, fusion et les changements d’employeur des ingénieurs, le dégrée de consanguinité entre Bell, Western Electric, Altec et JBL est considérable au mitant du XXe siècle.
(2) En fait, les deux innovations arrivent séparément. Le coaxial arrive en 1943 avec l’éphémère 601 qui possède des aimants à excitation.
(3) L’alignement temporel des haut-parleurs des enceintes multivoie sera la grande histoire des enceintes de la seconde partie des années 70. Pour les enceintes grand public, il sera plus vendeur de décaler les haut-parleurs. Les efforts du constructeur pour que la phase soit cohérente au niveau de la fréquence de recouvrement des haut-parleurs sont plus visibles par le client que la gestion de ce décalage au sein du filtre.
(4) Les modèles 811, 813 et 815 utilisant chacun un 604 dont le pavillon est modifié par UREI avec respectivement zéro, un ou deux boomers 515 en support pour les fréquences basses.
(5) C’est vers le milieu des années 60 et surtout dans les années 70 qu’apparaitront au catalogue d’Altec (et de JBL) des produits intégrés pour suivre la démocratisation de la haute-fidélité.




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