Les formes plantureuses à la Rubens ont longtemps été la norme pour la haute-fidélité. Pour les enceintes bien sûr pour des raisons techniques évidentes car il était difficile de concilier bande passante étendue dans le grave, rendement raisonnable et volume réduit. Mais les électroniques, malgré le passage aux transistors, avait conservé un volume respectable. Afin de porter une image statutaire, la chaîne haute-fidélité devait afficher une large façade, de préférence en métal brillant, de nombreux boutons et si possible de grands vu-mètres.
Mais les modes changent. Dans la foulée des mouvements de jeunesse de la fin des années 60 et de la crise du pétrole de 1973, le gros, le gras, l’ostentatoire passe de mode. Les femmes doivent devenir plus mince et s’habillent avec des jeans, les voitures diminuent en taille et en chrome et la cuisine se fait « nouvelle », c’est à dire plus simple, moins riche, plus naturelle.
La haute-fidélité ne pouvait ignorer ce mouvement de fond et on va voir apparaître après 1975 des appareils plus simples, des façades sombres, des boutons plus discrets et finalement plus mince. En Grande-Bretagne, le mouvement audiophile commence à instiller l’idée que la hifi doit être la plus simple possible. Les réglages de tonalités sont bannies tous comme les commutateurs mono/stereo/reverse, les commandes de différents haut-parleurs…
À la même période, Technics, une marque du puissant groupe Matsushita Electric Industrial Co, veut se faire une place au soleil de la haute-fidélité au côté de marque à l’image plus « premium » tel que Sony, Sansui, Trio Kenwood ou Pioneer. Pour les sources, elle assoie sa crédibilité avec des produits très performants tels les SP10, RS1500US ou RS9900. Mais il lui manque un produit d’image pour ce qui est de l’électronique(1).
Surfant sur le vague naissante, elle présente fin 1976 la gamme « professional » flat line. Fini le chrome et le glamour, on est dans le sérieux, le « professionnel » : Façade bronze foncé satiné, boutons noirs, format rack avec poignée et une épaisseur limitée proche du format deux unités. La gamme comprend un préamplificateur, le SU-9070 et un amplificateur SE-9060.
Le préamplificateur abandonne donc les réglages de tonalités et adopte les nouveaux concepts tels que les circuits sans condensateur permettant de passer le courant continu. Mais on conserve quand même bon nombre de réglages en façade. Il faut dire que le nombre de sources est considérable car outre les traditionnelles entrées « tuner » et « aux » on dispose de trois (!) entrées phono – dont une pour bobine mobile – et de trois (!) entrées/sorties pour magnétophones. Le tout donne un préamplificateur de bon aloi dont l’allure ne dépare pas et qui inspirera d’autre productions japonaises tel que les Yamaha C2 et Trio Kenwood Basic C1.
Mais la vraie pièce de choix est l’amplificateur SE-9060. Il reprend les même gimmicks esthétiques que le préamplificateur mais rajoute quelques éléments plus virils pour montrer sa puissance. Les flancs sont constitués de deux rangées de radiateurs hébergeant en leurs seins les transistors de puissance en boîtier TO3, exposés sous un plexi transparent. Le trait le plus caractéristique est au bout de ces deux rangées avec les transformateurs d’alimentation, un par canal, partiellement intégrés dans le châssis. Pour un objet aussi compact, le poids de 12kg est surprenant. Sans être extravagante, la puissance affiche un confortable, 70w par canal pour une charge de 8Ω. On est finalement asses proche en taille, en poids et en puissance d’un amplificateur d’origine philosophique et géographique très différent, le Naim NAP 250 qui lui est quasi contemporain (1975).
Comme pour tous les appareils de la série, les capots supérieurs affichent une sérigraphie reprenant des courbes caractéristiques, des schémas fonctionnels et à l’arrière un rappel de connexion bien pratique au demeurant.
Ces toujours avec une certaine inquiétude que nous remontons des appareils de la cave. Mais les Technics sont des appareils résistants qui vont renaître sans problème de leur sommeil. Au chapitre des regrets, on notera que le revêtement bronze des appareils est assez fragile, les éraflures étant d’autant plus visible qu’elles laissent apparaître un aluminium brillant. A l’usage, on déplorera aussi que pour les trois entrées phono, aucun réglage de charge n’est disponible.
On a vu que Technics fait grand cas de la capacité de cet ensemble de faire passer le courant continu. Mais comme le souligne Douglas Self dans son excellent ouvrage Audio Power Amplifier Design Handbook , « In some respects, any DC-coupled power amplifier is an accident waiting to happen ». En effet, la perspective de faire passer un courant continu copieusement amplifié, fut-ce accidentellement, dans des bobines de haut-parleurs, n’est pas vraiment la meilleure idée du monde. Et donc, de manière parfaitement contradictoire, Technics fera tout pour dissuader l’utilisateur de seulement envisager cette possibilité en recommandant de mettre en œuvre a) un filtre passe-haut commandé en façade du préamplificateur, b) une sortie spécifique du préamplificateur coupant la composante continue du signal et c) un autre filtre commutable sur l’amplificateur. C’est ceinture, bretelles et parachute. Quand le marketing rentre en contradiction avec le bon sens…
Il reste quand même un souci pour Technics. Un ensemble préampli-amplificateur de 2x70w, cela reste un peu juste pour en faire un produit d’image (2). Mais Technics a une solution à cela. C’est ce que nous verrons dans un second article.
(1) Non sans succès, puisqu’en 2015 Matsushita, devenu entre temps Panasonic, relancera la marque Technics pour la diffusion de produits haute-fidélité, dont une superbe SP-10R.
(2) En fait, le vrai produit d’image pour Technics est l’ensemble SU-A2/SE-A1. L’amplificateur fait 350w par canal et plus de 50kg. Cet ensemble est rarissime sur le marché de l’occasion.